Les archives nous réservent parfois de belles surprises. Prenons le cas de Jeanne Garnier, enlevée avec plusieurs membres de sa famille par les Iroquois en novembre 1689 à Lachenaie. Comment peut-on même espérer connaître le sort qui lui a été réservé? Mais avant d’en venir à Jeanne, remettons-nous en contexte.
Dans son mémoire de maîtrise, Le Premier demi-siècle de Lachenaie (1670-1724), Mario Nadon avance une explication concernant l’absence de certains membres de la famille Hubou dans les actes de décès des registres paroissiaux de l’époque.
Mathieu Hubou et Suzanne Betfer ont eu neuf enfants. En novembre 1689, Suzanne est veuve depuis déjà onze ans et au moins cinq de ses enfants sont toujours vivants. Elle habite avec deux de ses fils, toujours célibataires, Mathieu, 36 ans, et Charles, 24 ans. Ses deux filles sont mariées : Geneviève, à Julien Garnier, et Anne, à René Sauvageau. Jean Hubou est marié depuis un an à Marguerite Goulet. Tous habitent la seigneurie de Lachenaie.
Le conflit franco-iroquois sévit depuis quelques années déjà et, en août 1689, le village de Lachenaie est attaqué par les Iroquois. Effrayés, ses habitants se réfugient dans le fort. À l’automne, une certaine accalmie les encourage à retourner sur leur terre. Cependant, dans la nuit du 13 novembre 1689, ils ont été surpris dans leur sommeil par quelque 150 Iroquois.
Le bilan est lourd. Avec cette attaque, c’est près du tiers de la population de Lachenaie qui disparaît, 33 personnes ayant été tuées ou portées disparues.
La famille Hubou a été durement éprouvée par ces événements. Suzanne Betfer et Charles Hubou seraient parmi les victimes. Un inventaire après décès du notaire Basset daté du 12 décembre 1689 confirme que Geneviève Hubou et Julien Garnier sont morts ou disparus dans la nuit du 13 novembre. Un autre document du notaire Basset, daté du 1er juin 1691 celui-là, mentionne que René Sauvageau a été tué par les Iroquois en 1689. On présume que cinq des six enfants Sauvageau ont également subi le même sort. Ce dernier document décrit également le marché passé entre Joseph Barbeau et Jean-Baptiste Hubou, procureur des successions de Mathieu Hubou et de Suzanne Betfer, de Julien Garnier et de René Sauvageau, comme étant un acte visant à entretenir paix et amitié entre les dites parties puisque Joseph Barbeau serait responsable de la mort de Julien et de René tués par les Iroquois.
Après ces événements, Anne Hubou quitte Lachenaie avec sa fille aînée pour s’installer à Montréal où elle épousera Moïse Hilarest en 1691. Elle mourut en 1728, à l’âge de 69 ans. Toutefois, ce drame ne semble pas avoir incité les autres membres de la famille à quitter les environs de Lachenaie. Mathieu Hubou épousera Catherine Goulet en 1694, il mourra en 1723 à St-François-de l’île Jésus. Jean Hubou disparaît entre 1696 et 1699, probablement tué au cours d’une expédition militaire. Il était le premier brigadier des gardes du marquis de Denonville. Sa veuve épouse Michel Feuillon en 1699.
La seule survivante de la famille Garnier serait donc Geneviève, qui avait 7 ans au moment de l’attaque. Son oncle maternel, Mathieu Hubou Deslongchamps fils, est son tuteur comme en fait foi un acte de tutelle daté de janvier 1698. Elle serait la seule héritière de ses parents.
Le 12 juin 1702, à l’âge de 20 ans, Geneviève épouse Jean Rochon (ou Rocheron) à St-François-de-Sales de l’île Jésus. Assistent à la cérémonie Jean Beauchamp, Pierre Beauchamp, Mathieu Hubou, son oncle et tuteur, Catherine Goulet, sa tante, épouse de Mathieu.
Or, un document daté du 27 juin 1706 et disponible sur le site de BANQ nous apprend que Julien Garnier serait décédé mais que sa fille Jeanne, faite prisonnière avec lui, serait, selon la rumeur publique, toujours vivante, aurait épousé un Amérindien et vivrait chez la nation iroquoise Oneyoutes.
On peut presque imaginer la panique de Jean Rocheron qui s’adresse à l’intendant Raudot pour s’assurer de pouvoir jouir de l’héritage de sa femme. Il affirme que la terre de Julien Garnier a été abandonnée et laissée en mauvais état et qu’il ne compte pas les travaux qu’il a dû accomplir, à sa charge, pour mettre en valeur ce bien. Il mentionne qu’on a toujours cru Jeanne Garnier décédée et qu’il ne pense pas qu’elle reviendra vivre parmi les siens puisqu’elle vivrait désormais « à la façon des Sauvages ». L’intendant Raudot tranche et déclare que Jean Rocheron peut prendre possession des biens de Julien Garnier à la condition d’en remettre la moitié à Jeanne si jamais elle revient de captivité. Le document fait également état de la décharge de Mathieu Hubou Deslongchamps, en sa qualité de tuteur. Ce biens sont tous situés à Lachenaie.
Un autre document du notaire Nicolas Senet, daté du 15 juillet 1711, mentionne également que Jeanne Garnier a été adoptée par les Iroquois. Ce document porte sur une transaction effectuée entre Jean Rocheron et Mathieu Hubou.
Geneviève et Jean ont eu 13 enfants. Geneviève décède en 1758 à l’âge de 76 ans sans avoir jamais revu sa soeur.
En terminant, voici la liste des disparus de la famille Hubou après la nuit du 13 novembre 1689 :
- Suzanne Betfer, env. 55 ans
- Charles Hubou, 24 ans
- Julien Garnier, 40 ans
- Geneviève Hubou, 33 ans
- Pierre Garnier, 10 ans
- Jeanne Garnier, 6 ans
- Charles Garnier, 5 ans
- Michel Garnier, 4 ans
- Marguerite Garnier, 1 an
- René Sauvageau, env. 67 ans
- Marguerite Sauvageau, 8 ans
- Marie-Thérèse Sauvageau, 7 ans
- Flavie Sauvageau, 5 ans
- Bernard Sauvageau, 2 ans
- Marie Sauvageau, 1 an
Bibliographie :
Mario Nadon, Le Premier demi-siècle de Lachenaie (1670-1724)
Claude Martel, Lachenaie : du fort à la ville
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