Trésor des Archives : Un Instantané de la Prison commune de Montréal en 1820

Prison commune de Montréal, Place Vauquelin, 19e siècle — Archives de Montréal, VM6,R3067-2_155E-1939-005

Il se produit des hasards extraordinaires dans la vie.

Alors que je faisais des recherches pour les Dossiers Bangle aux Archives nationales du Québec, rue Viger à Montréal, j’ai relevé parmi les causes d’un dossier un document qui met en lumière les conditions de détention qui prévalaient à la Prison commune de Montréal, l’établissement pénitentiaire où John Bangle et sa femme, Marie-Louise Quevillon, étaient incarcérés en septembre, octobre et novembre 1820 et même au-delà.

Ce qui m’apparaît comme une coïncidence inespérée? Le document étant daté du 30 octobre 1820, il illustre donc fidèlement l’environnement dans lequel évoluaient John et Louise.

C’est ce que j’appelle un trésor des archives!


District de Montréal

30 Octobre 1820

Cour des Sessions Generales de la Paix.

A Messieurs les Juges de paix
de Sa Majesté pour ledit
District assemblés et dites Sessions

Les Grands Jurés dudit District ont l’honneur de vous exposer humblement qu’ils ont dernièrement visité la Prison Commune et la Maison de correction de ce District.

Sentant la facilité avec laquelle les abus peuvent s’introduire dans les Etablissemens de cette espece et la difficulté que les personnes qui y sont détenues, éprouvent souvent à faire connoitre les sujets de plainte qu’elles peuvent avoir, ils se sont fait un devoir non seulement d’examiner l’état des lieux, mais encore de s’enquerir soigneusement du traitement qu’y éprouvent les prisonniers et de la manière dont ils sont gouvernés, afin de faire rapport de ce qui leur paraitroit devoir y être introduit, changé ou supprimé, et ils sont persuadés que cette démarche, si elle étoit reitérée de tems en tems, ne pourront manquer de produire l’effet désiré, celui de maintenir le bon ordre dans ces maisons, en rappelant aux personnes qui y président que l’oeil de la Patrie veille sur leur conduite, et en donnant aux infortunés qui y sont enfermés, la douce assurance que  la profondeur et l’obscurité de leurs cachots n’empêchent point que leurs justes plaintes ne soient entendues et écoutées.

Dans le cours de leurs recherches, les Grands Jures ont remarqué dans la prison plusieurs objets qui sont la source d’inconvénients auxquels il seroit à propos d’apporter un prompt remede. Ce sont

1er : Un poêl qui se trouve dans un appartement situé au coté Nord Est du premier Etage, et qui, quoique trop court pour admettre le bois dans toute sa longueur, n’est cependant chauffé qu’avec de tel bois, à l’effet de quoi l’on a été obligé d’en ôter le devant, ce qui est cause que l’appartement est chauffé si ardemment que les prisonniers, qui y sont nombreux, en sont incommodés, qu’on y consume bien plus de bois qu’il ne faudroit, et que la maison est exposée au feu.

2e : Une odeur infecte qui regne dans l’appartement voisin de celui cidessus au Nord, et qui le rend presqu’inhabitable.

3e : Plusieurs fenêtres où il se trouve des vitres de Cassées dans différents appartements dela prison.

4e : Deux chambres de la Maison de Correction où les planchers de bois sont en si mauvais ordre que la terre y est en grande partie à découvert et exhale des vapeurs qui doivent affecter la santé des prisonniers qui les occupent.

5e : Les endroits de la Prison qui demandent des réparations en plusieurs endroits, et tous les murs intérieurs qui auraient besoin d’être blanchis, & ce tant pour la propreté que pour la Salubrité de la maison.

Quant au traitement des prisonniers les Grands Jurés ont le plaisir de n’avoir rien à dire à ce sujet que de favorable au Geolier et au Gardien de la Maison de Correction.

Enfin les Grands Jurés ont remarqué avec peine que les prisonniers de l’un et de l’autre sexe qui sont détenus dans la Maison de Correction sont presque tous desouvrés, faute d’emploi à leur donner, et que le principal but de la Loi qui est de les corriger en les condamnant à un travail dur, se trouve non seulement perdu, mais même contrarié, en ce que bien loin d’avoir un sujet de déplorer leur conduite passée, en satisfaisant, par un travail pénible mais salutaire, la peine de leurs offenses, ils ne font dans leur oisiveté que s’entretenir de leurs vices, se les communiquer en faire pour ainsi dire une école, et n’en deviennent que plus hardis et plus adroits à commettre le crime.

Pourquoi les Grands Jurés concluent humblement à ce qu’il vous plaise faire dresser un état estimatif des réparations nécessaires pour rémédier aux inconvenients ci dessus mentionnés, le soumettre à la Législature de cette province à sa prochaine Session, demander l’octroi des Sommes requises, et prendre telles autres mesures que le cas pourra demander.

[…] Bedouin (signature)
Président


À propos de la Prison commune de Montréal

À la fin du XVIIIe siècle, l’immeuble ayant auparavant abrité la résidence des Jésuites (situé sur la moitié ouest de la Place Vauquelin et sur une partie du terrain aujourd’hui occupé par l’hôtel de ville) avait trouvé une seconde vocation : il servait en effet de prison.

Lorsqu’un incendie détruira l’ancien bâtiment religieux en 1803, la construction d’une nouvelle prison sera envisagée et se concrétisera de 1808 à 1811. Conçue à l’origine pour loger quelque 300 prisonniers, la Prison commune de Montréal devient vite surpeuplée et son état se détériore rapidement. Situation quasi inévitable, vu l’accroissement de la population de Montréal qui passe à 13 300 en 1811, à 18 767 en 1821, et à 27 297 en 1831. Après moins de 30 années d’existence, le pénitencier ferme ses portes.

Vous serez peut-être étonnés d’apprendre que le sous-sol de l’hôtel de ville de Montréal (inaccessible au grand public) renferme des vestiges de cette prison. Je vous invite à lire cet article (en anglais) du quotidien The Gazette daté du 11 septembre 2010. Il y a même des photos! Bonne lecture!