8 juillet 1852 : Le Grand incendie de Montréal

Le 8 juillet 1852, Montréal est ravagée par un incendie dévastateur. Plus de 10 000 personnes se retrouvent à la rue et ce, sur une population de 57 000 habitants. La plupart des maisons avaient été construites en bois puisque la réglementation municipale le permettait toujours pour les habitations situées à l’extérieur du périmètre de la vieille ville et ce, depuis 1721.

Mais laissons l’édition de La Minerve du samedi matin 10 juillet 1852 nous raconter les événements survenus deux jours plus tôt.

la minerve 10 juillet 1852

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, journal La Minerve, édition du 10 juillet 1852

Terrible Conflagration. 12 à 1500 familles sans demeure. Un quart de la Cité en Cendres. – La Cathédrale de Montréal, le Palais épiscopal, l’hôtel de Hays, l’église Molson, sa brasserie et sa fonderie brûlés totalement, etc. etc.

Le 8 juillet 1852 peut être compté désormais comme le plus mauvais jour que les citoyens de Montréal ont jamais passé. Il est impossible de faire concevoir la grandeur du désastre que le feu a causé dans les quartiers St. Louis, St. Jacques, Ste. Marie, et dans une partie du quartier Est, de cette cité. Il y a peine un mois, nous avions la douleur d’enregistrer l’incendie d’une des plus riches parties de la ville, comme étant le plus désastreux que Montréal avait eu à déplorer.

Nous ne nous attendions pas à être obligés de dire sitôt que comme calamité publique, l’incendie du 6 juin n’est rien comparé à celui du 8 juillet. Le premier a diminué considérablement la prospérité commerciale de plusieurs maisons puissantes, et par contrecoups de la cité elle-même, mais il n’a ruiné totalement personne et n’a laissé personne sans asile. Le dernier compte ses victimes par milliers et fait la ruine d’un nombre immense de familles. Aujourd’hui ce sont pour la plupart les industriels qui souffrent. Combien d’honnêtes et laborieux artisans qui, à force d’économie et de travail, s’étaient acquis dans ces quartiers de petites propriétés qui les mettaient en état de vivre respectablement, se voient en un instant dépouillés de tout ce qu’ils possédaient, n’ayant plus ni abri ni pain à offrir à leurs familles?

Le feu a éclaté vers les 9 heures, sur la rue Ste. Catherine, entre la Grande rue St. Laurent et la rue St. Dominique, et 24 heures plus tard, l’incendie était arrivé jusqu’au pied du courant, près de la prison. Voici à peu près la marche qu’il a suivie et l’étendue des dégâts qu’il a causés. Il était favorisé par un soleil ardent, une chaleur étouffante, un vent d’ouest rafalant et tourbillonnant, et par la sécheresse des jours précédents qui avait rendu les toits en bois aussi combustibles que la paille. Aussi, de son point de départ, il s’est étendu avec une incroyable furie des deux côtés de la rue Ste. Catherine, détruisant toute la rangée de la rue St. Laurent depuis la rue Mignonne jusqu’au nord de la rue Dorchester, en face de l’Hôpital Anglais; la rue St. Constant a été rasée des deux côtés sur cette même étendue, et du côté nord-est jusqu’à la rue Lagauchetière; la rue des Allemands a été également détruite des deux côtés, de la rue Mignonne à la rue Lagauchetière et trois maisons plus au sud; la rue Sanguinet a été détruite depuis l’extrémité jusqu’en bas de la rue Lagauchetière du côté ouest et jusqu’à la rue Vitrée de l’autre côté; sur la rue St. Denis, il n’a pas resté une seule bâtisse, depuis les lots vacants de M. Ricard jusqu’à la rue Craig; les maisons de M. Jérôme Grenier, sur la place Viger, et celles de M. Robillard faisant le coin de la rue Vitrée n’ont pas été épargnées, ni le marché aux animaux, ni l’habitation de M. C. S. Cherrier qui était parfaitement isolée.

Il a été brûlé sur cette rue des propriétés pour une valeur immense, entre autres les bâtisses de M. Jackson et celles de M. L. Boyer, mais la perte la plus regrettable est celle de la Cathédrale du diocèse de Montréal, et du Palais Épiscopal, riche et coûteux, qui touchait à l’église d’un côté, et de la maison où se trouvait l’imprimerie des Mélanges Religieux de l’autre. Pendant que ces bâtisses brûlaient, les flammes s’emparèrent des maisons du côté sud de la rue Ste. Catherine, et d’une bâtisse au nord de l’asile de la providence. Ainsi cet asile se trouvait entouré de flammes sur trois faces, et cependant il fut sauvé. Du côté sud de la rue Ste. Catherine, le feu alla s’arrêter à la maison de M. Coffin, le protonotaire, après l’avoir détruite. Tous les fruits du grand jardin de l’hon. M. Viger sur la rue St. Denis ont été détruits par la chaleur. La maison de M. Guy qui se trouvait éloignée des autres, devint la proie des flammes. On croyait alors partout que c’était le terme de l’incendie et on comparait déjà ce désastre à la conflagration du faubourg St. Roch de Québec. Cependant, nous n’en étions qu’à la moitié de cette scène affreuse et poignante qui n’avait point duré moins de 12 heures. Au moment où les inquiétudes commençaient à se calmer, le feu se déclara dans les écuries militaires, sur la rue du Champ de Mars, derrière la maison Hays, ou l’ancien théâtre. Un instant après, cette magnifique bâtisse, l’un des plus beaux ornements de notre cité, était enveloppée de flammes, jusqu’à la coupole qui jetait une lumière éclatante mais lugubre sur tous les points de la cité.

Watercolour | Ruins of the Roman Catholic Bishop's Palace, Montreal. | M752 | McCord Museum, Montréal.

Watercolour | Ruins of the Roman Catholic Bishop’s Palace, Montreal. | M752 | McCord Museum, Montréal.

L’impression générale était que ce nouveau feu avait été mis par quelques misérables incendiaires, mais il est aussi probable que ceux qui ont soin des chevaux ont été avec de la lumière dans les écuries et y ont mis le feu. Quelque soit la cause de son origine, il n’en a pas été moins désastreux. Il se communiqua de la maison Hays, au côté opposé de la rue Notre-Dame, et ensuite à la rangée de bâtisses attenantes à cet hôtel, et qui forment le côté Nord du Carré Dalhousie, et tout cela fut détruit ainsi que toutes les écuries de la rue du Champ de Mars, et le beau bloc de maisons de la rue St. Louis appartenant à M. Jackson. Les flammes passèrent de là au magasin d’épiceries de M. Berthelot, encoignure de la rue Ste. Marie et de la rue Lacroix, et de là elles prirent la direction de la rue Ste. Marie en s’élargissant à mesure qu’elles descendaient. Elles n’épargnèrent que quelques maisons à l’entrée de cette rue, du côté du fleuve, et ensuite elles embrassèrent les deux côtés de la rue, au sud s’étendant parfois jusqu’au bord de l’eau et au Nord, jusqu’à la rue Lagauchetière, et au-delà sur quelques-uns des points.

Painting | Burning of Hayes House, Dalhousie Square, Montreal. | M310 | McCord Museum, Montréal.

Painting | Burning of Hayes House, Dalhousie Square, Montreal. | M310 | McCord Museum, Montréal.

Le ravage s’est continué ainsi durant toute la nuit et jusqu’après neuf heures hier matin, sur toute cette étendue qui embrasse les rues Campeau, St. Nicolas Tolentin, Amherst, Wolfe, Montcalm, Visitation, Panet, Salaberry, St. Ignace, des Voltigeurs, St. Alphonse, le marché Papineau, la rue Gain, jusqu’à la prison qui a été menacée à plusieurs reprises, mais enfin sauvée. L’église de Molson, sa fonderie et sa brasserie sont en cendres aujourd’hui. Le faubourg Québec n’existe presque plus, on n’y voit plus que cheminées et monceaux de cendres encore fumantes.

Photograph | Ruins of the Great Fire, St. Denis Street, Montreal, QC, engraving, 1852, copied ca.1910 | MP-0000.864.5 | McCord Museum, Montréal.

Photograph | Ruins of the Great Fire, St. Denis Street, Montreal, QC, engraving, 1852, copied ca.1910 | MP-0000.864.5 | McCord Museum, Montréal.

Du côté sud de la grande rue du faubourg Québec il n’est resté que douze maisons à l’entrée. De ce côté, le feu a commencé dans les bâtisses de Sir James Stuart, et s’est rendu comme nous l’avons dit, jusqu’à la brasserie. Toutes les maisons de M. Molson sont aussi brûlées. Au nord, il ne reste rien du tout jusqu’à la prison.

Voilà en substance l’étendue du désastre, et cela doit être suffisant pour donner une légère idée de la misère qui va s’en suivre pour les milliers de personnes laissées sans asile et sans moyens. C’était un spectacle déchirant que de voir hier matin et durant toute la nuit ces pauvres familles groupées le long des rues, sur les places publiques, le Champ de Mars surtout, et sur la déclivité du Côteau Barron, chacune avec une petite quantité d’effets sauvés à grande peine, et à demi brisés, épuisées de fatigue et de douleur et d’entendre les petits enfants à demi-vêtus pleurer et demander du pain quand leurs parents n’en avaient plus à leur donner. Ce fut un bonheur encore que la nuit fut belle et sereine. C’est dans ces cas qu’il est surtout méritoire de faire l’aumône.

Les messieurs du Séminaire ont déployés le plus grand zèle; ils ont mis maisons d’écoles et même le collège à la disposition des victimes de l’incendie et pour ce louable objet les élèves vont être envoyés chez leurs parents. Ces messieurs ont aussi fait distribuer du pain, ainsi que la Corporation. Les appentis de la Pointe St. Charles doivent être mis à la disposition de ceux qui voudront en faire un usage temporaire.

On a dû comprendre, durant cette conflagration, qu’il est d’une urgence extrême de faire poser partout des tuyaux d’une plus grande dimension que ceux qui sont actuellement dans les parties incendiées. Il est clair qu’un tuyau de trois pouces ou deux pouces ne peut fournir une quantité d’eau suffisante pour alimenter neuf à dix pompes à la fois en même temps que dans toutes les maisons particulières, on s’empresse d’ouvrir les robinets pour tirer de l’eau afin de se protéger contre le feu. Personne ne pourra s’opposer désormais aux dépenses nécessaires pour améliorer les aqueducs.

Si on a manqué d’eau au commencement du feu c’est extrêmement regrettable, et en voici la cause. On s’est plaint sur les journaux que l’eau du réservoir était corrompue et on demandait qu’il fut vidé; les directeurs de ce département se sont rendus à ce voeu tout de suite, tandis qu’ils auraient dû attendre un temps pluvieux. On nous informe que l’eau a été introduite dans le réservoir dès le commencement de l’incendie.

Loin de s’étonner du résultat de ce feu, bien des personnes s’étonnent de ce qu’un semblable désastre n’ait pas eu lieu plus tôt, quand elles considèrent la qualité des bâtisses qui se tenaient les unes aux autres dans ces quartiers, et l’extrême exiquité des rues.

On calcule que ce malheur terrible ne laisse pas moins de douze à quinze cents familles sans demeure.

On nous informe que le feu a commencé chez un charretier du nom de Doulen, mais celui-ci prétend qu’il a commencé chez son voisin, un soucissier du nom de Brown.

Nous devons nous borner à ces détails pour aujourd’hui, presque tous nos compositeurs étant du nombre des incendiés, malades ou obligés de chercher un logis pour y mettre leurs effets en sûreté. C’est la même raison qui nous a empêché de sortir un extra hier.

 


 

Voici la liste des membres de la famille Tourville dont le nom paraît dans le Montreal’s Lovell Directory de 1852 :

lovell 1852

Extrait, page 241, Montreal’s Lovell Directory, 1852. Bibliothèque et Archives Nationales du Québec

On peut affirmer, sans se tromper, qu’ils ont tous été touchés par cet incendie.