Julie Tourville (née Bélisle) (1827-1912)

1996458

Post Office Montreal, 1870, Canadian Illustrated News, BANQ, Cote: ID A 11, No de notice 0002724060

Vous retrouvez quelquefois le nom de vos ancêtres dans des documents pour le moins surprenants. Je dois une fière chandelle à Marie-Claude Leclaire pour ce qui suit. Merci, Marie-Claude!

Julie Roture dite Bélisle est née le 29 avril 1827, à Sainte-Anne-des-Plaines, du mariage de Pierre Roture et d’Angélique Truchon dite Léveillé, et elle a été baptisée la même journée sous le prénom d’Angélique. Elle a épousé Prosper Tourville, fils de Michel Tourville et de Josephte Cantin, dans la paroisse Notre-Dame de Montréal, le 25 août 1845.

La vie de Julie n’avait rien d’un conte de fée. Son mari est décédé le 21 mai 1867 à Montréal, à l’âge de 46 ans. D’après son propre avis de décès, elle a donné naissance à treize enfants (j’en ai retracé onze), six étant décédés avant l’âge de trois ans. Ont survécu à leur père, Julie, 13 ans; Napoléon, 11 ans; Magloire, 7 ans; et Marie-Louise, 2 ans. Quelques mois plus tard, le 30 octobre 1867, naissait David.

À cette époque, comment une mère de famille s’y prenait-elle pour élever seule cinq enfants encore trop jeunes pour occuper un emploi et l’aider à subvenir aux besoins de la famille? En faisant appel à des proches? Ou l’Église peut-être?

En fait, ce n’est rien de moins que l’adoption d’une loi à l’Assemblée législative du Québec en 1870 qui vient nous éclairer sur le sujet.

Au milieu du XIXe siècle, souscrire à une assurance vie représentait un luxe pour les classes populaires, car pour une assurance de 400 $, un bénéficiaire devait débourser la coquette somme de 14 $ par année. Les sociétés de secours mutuels ont tôt fait de séduire les Canadiens-français en raison du coût peu élevé des primes. Grâce à une cotisation mensuelle s’élevant à aussi peu que 0,25 $ à 0,35 $, le coût annuel totalisait à peine 3 $ à 4 $ si l’on inclut les cotisations spéciales et la cotisation initiale. (1)

De plus, les sociétés de secours mutuels supportaient les frais des funérailles de leurs membres (jusqu’à concurrence de 20 $), payaient un montant modeste pour les orphelins et accordaient aux veuves une pension hebdomadaire de 1,50 $. Si la veuve ne se remariait pas et qu’elle survivait à son mari assez longtemps, en un peu plus de cinq ans, elle pouvait recevoir 400 $, ce qui correspondait à une police d’assurance de la Société de bienfaisance de l’Amérique britannique. (2)

Comment savons-nous que Prosper Tourville était membre d’une société de secours mutuels (L’Union St-Jacques, pour la nommer), et que sa veuve recevait une pension? Eh bien, rappelez-vous la loi mentionnée plus haut!

En 1870, L’Union St-Jacques éprouvait des difficultés financières. En raison du nombre croissant de veuves qu’elle devait soutenir, elle n’arrivait plus à respecter ses engagements à leur verser leur pension hebdomadaire de 1,50 $. Cette société s’est donc tournée vers le gouvernement du Québec, lui demandant de légiférer aux fins de lui permettre de plafonner le montant de la pension à 200 $ à vie, d’où l’adoption de la loi intitulée Acte pour venir au secours de L’Union St. Jacques de Montréal, 33 Victoria, Cap. 58):

« ATTENDU qu’il existe depuis plusieurs années dans la cité de Montréal une association de bienveillance et de protection mutuelle dûment incorporée sous le nom de « L’Union St- Jacques de Montréal »; attendu que les contributions exigées des membres de cette société sont trop minimes et que les bénéfices, notamment ceux accordés aux veuves de ses membres sont de beaucoup trop élevés; […]:

I. La dite société « L’Union St. Jacques de Montréal » est par les présentes autorisée à convertir en la manière et forme ordinaires de ses procédés, les bénéfices des dites deux veuves, savoir : dame Elizabeth Brunet, veuve de feu Albert Tessier et dame Julie Bélisle, veuve de feu Prosper Tourville, en une somme de deux cents dollars à une seule fois payer à toutes et chacune d’elles.

II. 2. Si les dites deux veuves ou l’une d’elles refusent ou refuse d’accepter telle somme au lieu et place de leurs ou de ses bénéfices antérieurs, la dite société aura le droit de garder telle ou telles sommes en dépôt et ne sera tenue de payer aux dites veuves, pour tous bénéfices auxquels elles pouvaient prétendre auparavant, que l’intérêt légal sur la dite somme de deux cents dollars, c’est-à-dire douze piastres à chacune d’elles, le dit intérêt payable mensuellement et d’avance, et ce jusqu’à leur convoi en secondes noces et jusqu’à leur mort si elles restent en viduité : il sera toutefois toujours loisible aux dites veuves de retirer leur dite allocation de deux cents dollars chacune, pourvu, bien entendu, qu’elles en fassent la demande en viduité. »

III. Mais si la dite société « L’Union St. Jacques de Montréal » voit sa position s’améliorer et vient à avoir ou valoir une somme de dix mille piastres en propriété foncière ou en épargnes déposés dans les banques ou autrement placées, il sera loisible aux dites deux veuves sus-nommées d’exiger de la société la même contribution que ci-devant, sept chelins et demi par semaine, et aussi tous arrérages de cette date, après avoir déduit les deux cents dollars et les intérêts reçus par elle sur la dite somme. »

Mais l’histoire, loin de s’arrêter là, prend même une tournure étonnante. Julie Bélisle a contesté cette loi. Et l’affaire a pris une telle ampleur qu’elle a viré à la contestation de la constitutionnalité de cette loi, les avocats de Julie étant allés jusqu’à plaider qu’elle n’était pas de compétence provinciale. Le devoir de trancher est donc revenu au Conseil privé de Grande-Bretagne, lequel était à cette époque la plus haute instance pour les colonies de l’Empire britannique, incluant le Canada (l’équivalent de la Cour suprême aujourd’hui). Il s’agissait de la première fois que le comité du Conseil privé rendait une décision comportant une analyse détaillée de la division des compétences entre le fédéral et les provinces depuis la Confédération de 1867.

Pierre tombale de Julie Bélisle, épouse de Prosper Tourville, cimetière Notre-Dame-des-Neiges, Montréal. Photo : Marie-Claude Leclaire

Pierre tombale de Julie Bélisle, épouse de Prosper Tourville, cimetière Notre-Dame-des-Neiges, Montréal. Photo : Marie-Claude Leclaire

La loi ayant finalement été déclarée constitutionnelle, je me demande bien comment Julie a pu se débrouiller par la suite. Quant à L’Union St-Jacques, je ne suis pas certaine qu’elle ait poursuivi ses activités très longtemps après la conclusion de cette saga judiciaire. Quoi qu’il en soit, Julie aurait joui d’une situation plus qu’enviable si elle avait pu recevoir comme prévu sa pension hebdomadaire de 1,50 $ jusqu’à la fin de ses jours puisqu’elle est décédée en 1912! Remarquez, son gendre travaillait à la Metropolitan Life, peut-être avait-elle une bonne assurance vie!


Mort d’une octogénaire
Mme veuve Julie Tourville est décédée, hier, à Hochelaga

Mme veuve Julie Tourville, épouse de Prosper Tourville, est décédée, hier, chez l’une de ses filles, Mme Godfroy Demers, No 91 rue Cuvillier, Hochelaga, à l’âge avancé de 86 ans et 9 mois. Elle a été la mère de treize enfants dont quatre lui survivent : Napoléon, de Brandon, Man.; Magloire, de Lethbridge, Alberta; Julie, Mme J. Bérubé, de Augusta, Montana; et Marie-Louise, épouse de Godfroy Demers, de la « Metropolitan Life ». Elle laisse en outre 19 petits-enfants et 14 arrière-petits-enfants.

Les funérailles auront lieu demain, mercredi, à 8 heures. Le service sera chanté en l’église Saint-Pierre. ~ La Presse, 30 janvier 1912


(1) Petitclerc, Martin, Une forme d’entraide populaire : Histoire des sociétés québécoises de secours mutuels au 19e siècle, thèse de doctorat en histoire, Université du Québec à Montréal, 2004, p. 127 et 135-136
(2) Ibid., p. 137

Pour en savoir plus sur cette affaire (en anglais) :

2 réflexions sur « Julie Tourville (née Bélisle) (1827-1912) »

  1. Cela m’a fait plaisir
    Toi tu fais plus que du super beau travail au sujet de nos ancetres Tourville.
    Merci encore une fois de nous permettre de lire les belles histoires que tu déniche pour nous descendants Hubou-Tourville.
    A Bientot j espere

    • Merci Marie-Claude! Et moi, j’adore vous faire plaisir, c’est mon « salaire » 🙂

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