Le plan de retraite de Josephte Tourville (née Robillard) (1737-1821)

Lorsque Louis Tourville père décède à Lachenaie, en décembre 1790, à l’âge de 63 ans, sa femme, Josephte Robillard, croyait probablement qu’à presque 54 ans, elle n’avait plus rien à espérer de l’avenir, alors qu’elle devenait veuve pour la deuxième fois de sa vie.

Mère de douze enfants (seulement quatre d’entre eux ont vécu jusqu’à l’âge adulte), elle a fait comme la plupart des veuves de l’époque : tout laisser à l’un de ses fils — l’aîné dans son cas — et lui demander de prendre soin d’elle.

Louis Tourville fils est âgé de 30 ans lorsqu’il perd son père. Toujours célibataire, il épousera Marie-Louise Trudeau seulement quatre ans plus tard.

Le 26 mars 1791, Josephte, « se voyant d’un âge avancé, hors d’état de conduire ses travaux, voulant en outre se débarrasser des affaires de ce monde pour ne s’occuper à l’avenir qu’à celle de son salut », se présente donc chez le notaire Joseph Turgeon, à Terrebone, y faire don à son fils Louis, en bonne et due forme, des biens suivants :

  • un lopin de terre situé à Lachenaie, devant la rivière Jésus, avec la juste moitié des bâtiments y construits; et
  • un second lopin de terre situé en la côte nommée les cent arpents en bois debout.

Josephte — ayant manifestement conservé un minimum de sens pratique — se réserve cependant ce qui suit :

  • sa chambre à coucher, située dans le coin sud-ouest de la maison et le cabinet adjacent;
  • la moitié du grenier et de la cave;
  • la moitié de son jardin potager; et
  • la moitié de la laiterie et de la tabatière.

De plus, Josephte précise qu’elle cède également tous les biens mobiliers auxquels elle peut prétendre selon les termes prévus à son contrat de mariage, à l’exception de ses meubles meublants.

Louis Tourville fils promet de payer, fournir et faire valoir à sa mère pour chaque année sa vie durant, et qui commencera son cours à la St Michel prochaine, ce qui suit :

  • quinze minots de blé froment, loyal et marchand, converti en farine et rendu en son grenier, livré la moitié à la St Michel et le reste le quinze de mars;
  • un cochon de cent cinquante livres pesant livré au temps des boucheries;
  • quinze cordes de bois livré à sa porte aux premiers trainages et même lui bûcher son bois de poële;
  • cinquante livres de boeuf livré au temps des boucheries;
  • quatre gallons de vin ou rhum au choix de Josephte livré à son besoin;
  • un minot de sel livré au temps des boucheries avec une demi-livre de poivre;
  • six livres de graisse au même temps;
  • une vache laitière herbagée et hivernée aux frais de Louis par lui remplacée en cas de mort livrée sans le veau le premier de mai et reprise à la Toussaint;
  • lui fournir un cheval attelé sur voiture commode livré à son besoin;
  • en argent, douze francs livrés le quinze de mars;
  • en cas de maladie, lui procurer tous les secours spirituels et temporels, consistant en un prêtre et un chirurgien et tout bouillon dont un malade peut avoir besoin;
  • douze livres de chandelle livrées à son besoin;
  • l’entretien de hardes, linge et chaussures, tant pour les dimanches que pour les jours ouvriers;
  • trois livres de tabac en poudre à son besoin.*

Par ailleurs, Louis ne pourra, sous quelque prétexte que ce soit, vendre tout ou partie du don sans le consentement de sa mère.

Vous avez bien lu, comme moi, que Josephte voulait se « débarrasser des affaires de ce monde », n’est-ce-pas? Femme avertie, elle avait effectivement vu à tout afin d’être définitivement délivrée de tout souci matériel ou financier et ainsi pouvoir consacrer toutes ses énergies à de plus nobles préoccupations.

La rente et la pension annuelle et viagère seront totalement éteintes au décès de Josephte.

Tiens, parlant de décès, Josephte a également prévu le coup : elle désire être inhumée « suivant son état avec un service le corps présent s’il est possible, sinon le plus prochain jour et lui faire dire dans l’an de son décès vingt-cinq messes de requiem pour le repos de son âme ».

Enfin, Louis devra payer à chacun de ses frères et soeurs, un an après le décès de leur mère, la somme de cinquante chelins cours anciens de la province.

En juin 1814 — il faut croire que rien ne va plus entre la femme de 76 ans et son fils —, puisque Josephte se présente chez le notaire Toussaint Limoges de Terrebonne aux fins de nommer un mandataire chargé de réclamer sa pension auprès de Louis. Au mois de septembre qui suit, Josephte fera annuler ce contrat. J’en déduis que l’été n’a pas été facile.

Mme Robillard est décédée à Lachenaie sept ans plus tard, le 2 janvier 1821, à l’âge vénérable de 83 ans, et elle a été inhumée deux jours après, le 4 janvier (tout de suite après les funérailles, espérons-le, pour le repos de son âme).

Louis fils aura donc survécu à sa mère à peine huit courtes années — il est décédé en 1829, à l’âge de 69 ans.

Alors, vous brûlez de savoir si vous êtes parent avec Josephte Robillard? Louis Tourville, marié à Susan Belec, qui a émigré à Chicago, était son arrière petit-fils; et Alphonse Tourville, marié à Valérie Rose, qui a émigré à Chicago, puis au Nebraska, était son arrière-arrière-petit-fils.


* Vous aurez compris, je présume, qu’il n’était pas courant que les actes de donation entre-vifs comportent une liste aussi importante d’exceptions.