Abraham Sorrell (1)—Le recensement américain de 1850 pour Ferrisburgh ne dit pas tout

vermont 2016 freIl y a environ un an, alors que j’enquêtais sur les résidents de Ferrisburgh à l’aide du recensement américain de 1850, j’ai déniché un des dossiers les plus déconcertants qui me soient tombés entre les mains en ce qui a trait aux pensions de la guerre civile.

Celui-ci concerne Abraham Sorell qui en 1850 était journalier à Ferrisburgh et résidait sur la ferme d’une autre famille que la sienne (qui elle aussi habitait cette ville). Bien sûr, en l’absence d’information sur son état civil, nous pouvons présumer que ce jeune homme alors âgé de 17 ans était toujours célibataire, n’est-ce pas?

Abraham (pour qui aucun acte de baptême n’a été trouvé) aurait vu le jour au Canada vers 1833, du mariage de Michel Sorel et de Sophie Royer. Cependant, on ne peut exclure qu’il soit peut-être né au Vermont, puisque la famille a quitté Marieville (Québec) pour North Ferrisburgh après le mois d’avril 1832, mais avant novembre 1834 (leur fils François a été baptisé en novembre 1834, à Charlotte, au Vermont). D’après le recensement américain de 1840, Michel et Sophie avaient six enfants : une fille (Marie-Prospère) et cinq garçons (Michel-Damase, Norbert, Abraham, François et John W.).

Selon le dossier qui nous occupe, Abraham s’est enrôlé à St. Albans, le 16 septembre 1861, au sein de la Compagnie B du 5e Régiment des volontaires du Vermont pour une durée de trois ans—il a été appelé sous les drapeaux le jour même. Il s’est enrôlé de nouveau le 15 décembre 1863, à Brandy Station, en Virginie. Blessé au combat à Wilderness, en Virginie, le 5 mai 1864, il y est décédé le 12 mai 1864.

Abraham s’est marié trois fois. Tout d’abord, à Eliza Sears, le 28 janvier 1849, à Charlotte; ensuite, à Eliza Carpenter, le 15 décembre 1856, à Vergennes; et, enfin, à Fanny C. Whittier, le 12 août 1861. Ce qu’il convient de noter ici, c’est qu’Abraham n’a jamais été veuf. Ni divorcé. Et que sa troisième épouse a demandé—et obtenu—une pension. Oops!

Mais laissons maintenant les documents—et leurs acteurs—raconter cette histoire fascinante qui lève non seulement le voile sur la vie des gens à Ferrisburgh, mais sur celle des Canadiens-français au cours des années 1850. La première partie de cette série s’attarde sur le témoignage de la première femme d’Abraham, Eliza Garrin (ou Guérin) née Sears.


En ce premier jour d’octobre 1881, à No. Ferrisburgh Charlotte, comté de Addison Chittenden, État du Vermont, devant moi, Wm Hutchinson, agent spécial du Bureau des pensions, a comparu personnellement Eliza Garrin, qui, étant dûment assermentée par moi tel que requis par la loi, déclare qu’elle est âgée de 55 ans, qu’elle réside à Ferrisburgh Charlotte, comté de Addison Chittenden, État du Vermont,et qu’elle était autrefois la femme d’Abram Sorrell, défunt soldat, de la Co. B. du 5e Reg des Vols. Vt, de qui elle n’a jamais été divorcée, pas plus, à sa connaissance, que lui n’était divorcé de la déposante. À sa connaissance, aucune des deux parties n’a jamais parlé de divorce. La déposante n’a jamais souhaité divorcer et était prête à vivre avec lui à nouveau, mais les parents d’Abram ont tout fait pour qu’il la quitte, il l’a donc quittée. Au moment où la déposante s’est mariée avec Abram Sorrell, elle vivait près d’ici avec son frère John Sears; les trois premiers mois suivant son mariage, la déposante a continué d’habiter dans la maison de son frère avec Abram Sorrell, avant que ce dernier ne la quitte. Abram a d’abord été à Burlington, prétendant vouloir y obtenir un emploi, puis de retour en ville, il est allé habiter chez son père. Au moment de la naissance de Napoleon, le premier enfant de la déposante, Abram n’habitait plus avec elle et vivait chez son père. La déposante et Abram n’ont jamais été en ménage ensemble, mais deux semaines après la naissance de Napoleon, Abram a hébergé la déposante chez son père à lui, chez qui il vivait à ce moment-là. C’était en mai 1849; elle y est restée jusqu’au mois de juillet suivant. Ensuite, Abram est parti. Ils ont prétendu qu’il avait suivi des gens de cirque; la mère d’Abram a donc renvoyé la déposante chez son frère, où elle vivait avant. Ils l’ont bel et bien chassée de la maison du père d’Abram et, par la suite, la déposante n’a plus jamais habité avec Abram. Les parents d’Abram ne l’ont pas bien traitée après cela. À l’avenir, elle ne reverrait Abram que sur la route, peut-être, et quand elle l’abordait, il ne lui répondait pas. À l’intérieur d’une période de neuf mois après qu’elle a été chassée de la maison du père d’Abram, en juillet 1849, sa fille Marie venait au monde. Abram Sorrell en était le père. Il était aussi le père de son premier enfant, Napoleon. Certaines dates ne sont peut-être pas tout à fait précises, mais les faits sont sensiblement exacts.

Après 1850, elle n’a plus jamais tenté de le suivre ou de savoir ce qu’il faisait. Alors même qu’ils vivaient sous le même toit, dans la maison du père d’Abram, il a commencé à courir après d’autres femmes et à se promener avec elles; la déposante l’a vu se tenir avec une femme de mauvaise vie, son bras autour d’elle. Elle l’a confronté à ce sujet à l’époque mais il ne lui a jamais tendu la main. À l’époque, il a continué à se comporter de mal en pis, alors elle a décidé de l’éviter, il était tellement odieux. Elle entendait ses parents dire qu’il était dehors à toute heure avant de s’amouracher de la femme Eliza Carpenter, à Vergennes. Après cela, la déposante n’a plus su grand-chose à son sujet. Elle a su qu’il s’était enrôlé seulement une fois qu’elle appris son décès.

Quand elle a épousé Sorrell, elle avait vingt-deux ans, pas plus; ils disaient que lui en avait dix-neuf. Elle pense que c’était bien l’âge qu’il avait. Elle est certaine qu’il n’y avait pas plus de treize mois d’écart entre la naissance de chacun des deux enfants qu’elle a a eus avec Abram Sorrell. Les parents d’Abram ont dit à l’époque que la fille, Mary, n’était pas de lui, mais ils n’ont jamais pu le prouver. Elle ignore ce qu’Abram en disait de son côté, mais elle a entendu dire qu’il la qualifiait d’immorale. Selon elle, les gens en général n’avaient pas de doute sur l’identité du père de l’enfant.

Depuis toutes ces années, la déposante a continué de vivre près d’ici, pendant que Sorrell vivait avec la Carpenter et d’autres personnes, mais il y avait longtemps qu’elle avait cessé de s’en faire à son sujet. Son enfant Marie avait cinq ans lorsqu’elle a épousé Moses Garrin. Eliza, son enfant suivant, est né environ 11 mois après son mariage avec Garrin. Ladite Eliza est décédée à l’âge de 20 ans (il y a cinq ans ce mois-ci); elle serait donc née en 1856. Avant la mort d’Abram, la déposante a eu au moins trois enfants avec Garrin, son dernier mari.

La déposante et Sorrell étaient tous les deux trop pauvres pour aller devant les tribunaux obtenir un divorce. En outre, les gens n’étaient pas aussi pointilleux qu’ils le sont de nos jours; ils ont refait leur vie chacun de son côté et se sont remariés. Tous les deux se fichaient pas mal du divorce, et jamais personne d’autre ne l’a ennuyée à ce sujet, ou n’a passé de remarques sur le fait qu’elle s’était remariée sans avoir obtenu le divorce.

Elle s’est mariée deux fois avec ledit Garrin : la première fois, devant un pasteur, à Ferrisburg (elle ne saurait dire son nom ni celui de son église). C’était un gros homme de taille imposante. Le mariage a été célébré dans la maison d’un Français nommé Shortsleeve. Après la mort de Sorrell, elle s’est remariée avec Garrin, cette fois, devant un prêtre catholique, à Charlotte (elle ne se souvient pas de son nom). C’était il y a neuf ans ou aux environs de 1872. Réflexion faite, elle situe la date de ce mariage aux environs de 1870.

Finalement, elle se souvient qu’elle a aussi été mariée à Garrin par Stephen Ball, un juge de paix. Ce fut fait suite aux recommandations de certains à Vergennes, afin que ceux-ci ne puissent lui reprocher de n’avoir pas été convenablement mariée. C’était peu de temps après la mort de Sorrell. Pour ce qui est du dernier mariage, célébré par le prêtre, c’était parce qu’il s’agissait de leur religion.

John Sears, le frère de la déposante, est probablement la personne en ville qui peut donner davantage d’informations sur les points mentionnés ici.

Abram Sorrell ne lui a jamais offert aucun soutien, elle a néanmoins dû se débrouiller du mieux qu’elle a pu; elle a également reçu l’aide de la ville avant son mariage avec Garrin, et elle déclare en outre n’avoir aucun intérêt, direct ou indirect, dans la réclamation des [enfants] mineurs d’Abram Sorrell pour l’obtention d’une pension; et n’ajoute rien de plus.

Témoin

Josephene Garen

Eliza Garrin (sa marque)
Déposante

Déclaré sous serment devant moi ce 1er jour d’octobre 1881, et je certifie que le contenu des présentes a été porté en entier à la connaissance de la déposante avant qu’elle n’y appose sa signature.

Wm Hutchinson
Exa Agent*spécial


♥ Un remerciement bien senti à Danielle Tourville pour la transcription et la traduction des documents.

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