Archange Tourville (1765-1840) | 100 ans, vraiment?

Les trous de mémoire sont toujours bizarres, mais pas vraiment surprenants, surtout lorsque vous aviez la mauvaise habitude de ne pas prendre de notes. C’est que, voyez-vous, l’été dernier, à la suite d’une découverte faite aux Archives à propos d’une femme nommée Archange Tourville, je n’arrivais tout simplement pas à m’expliquer pourquoi son décès n’était pas répertorié dans ma base de données.

Tiens, pas plus tard que samedi dernier, j’ai cherché Archange Tourville dans les registres paroissiaux de Généalogie Québec et je suis tombée sur cette Archange, inhumée à Montréal le 15 octobre 1840, décédée quelques jours auparavant, le 10 octobre, à l’âge de 100 ans, sans autres détails supplémentaires. Puis, tout m’est revenu à la mémoire : il y a plus d’une décennie — parce que je n’avais pas pu déterminer de qui il s’agissait — j’avais mis cet acte de sépulture de côté (c’est-à-dire dans mon cerveau, un endroit bien peu fiable si vous voulez mon avis).

Bon, je vous raconte toute l’histoire : le nom d’Archange Tourville est inscrit au registre de la prison de Montréal pour l’année 1840. Archange a été arrêtée le 29 juillet pour trouble à l’ordre public et a été condamnée à deux mois de prison. Malheureusement, étant donné que la sentence a été prononcée par un juge de paix, aucun document qui rendrait compte des circonstances de son arrestation n’a été conservé aux Archives. Elle a été libérée à la fin de sa sentence le 29 septembre. Cependant, la même journée, elle a été réincarcérée pour le même motif, pour 15 jours cette fois. Fait intéressant, c’est le Dr Arnoldi qui signe pour son incarcération. Le registre indique qu’elle est décédée en prison le 10 octobre 1840.

Aucun dossier criminel soit, mais j’ai trouvé beaucoup mieux : le dossier de l’enquête du coroner. En voici un extrait :

Arcange Tourville, une vieille femme aveugle de plus de 70 ans, a été condamnée sur sa propre confession comme vagabonde par B. Gugy, écuyer, à deux mois [de prison] le 29 juillet dernier. J’ai soigné ses maladies à quelques reprises et le 29 septembre, en qualité de magistrat, je l’ai condamnée à deux mois de nouveau [le registre de la prison indique 15 jours] en tant que « vagabonde sans foyer et personne inapte à être libérée de prison en raison de son infirmité », et elle est décédée de causes naturelles ce matin à 11 h.

Danl Arnoldi, Dr. M.G.
Prison de Montréal
10 oct. 1840 [traduction de l’anglais]

Le verdict du coroner se lit comme suit :

Arcange Tourville, une femme âgée de soixante-dix ans, infirme et aveugle, pauvre et sans foyer, a été, à sa propre demande, incarcérée le 29 septembre dernier à la prison commune du présent district, en tant que vagabonde, décédée ce matin de causes naturelles [traduction de l’anglais]

Intéressant de constater qu’en ces temps lointains, la prison commune servait de refuge pour les vagabonds. Si la vie en prison n’était pas rose, il faut en déduire que la vie dans la rue était encore pire.

Et maintenant, mon propre verdict :

Lorsque j’ai consulté les registres paroissiaux sur Généalogie Québec, la seule Archange Tourville que j’ai trouvée sans aucune date de décès et qui pourrait correspondre à notre vagabonde appartient à la lignée des Hubou-Tourville (j’ai évidemment pris bien soin d’établir qu’elle n’était pas de la lignée Dutaut-Tourville). Il s’agit de Marie-Archange Tourville, née à Mascouche le 22 septembre 1765 et baptisée le jour suivant dans la même paroisse. Elle était la fille de Charles Tourville et de Marguerite Dufour.

Parmi les onze enfants nés de l’union de ce couple (sept ont atteint l’âge adulte), deux femmes dont la date de décès est inconnue sont célibataires. La première, Marie-Françoise, est probablement décédée en bas âge puisque son nom n’apparaît nulle part aux registres paroissiaux contrairement à son frère qui a déjà été parrain ainsi que ses deux soeurs qui ont été marraines d’un neveu ou d’une nièce au moins une fois. La seconde, Archange, a été la marraine de deux neveux (en 1790 et 1797). De plus, sa présence au mariage de sa soeur aînée en 1781 y est confirmée.

Si Archange est effectivement notre vagabonde, elle avait 75 ans au moment de son décès, soit approximativement l’âge que celui mentionné par le médecin. J’ignore d’où provient l’estimation de 100 ans de la part du prêtre. J’ai toutefois la conviction que nous avons affaire à une seule et unique personne.

Cette femme, chers amis lecteurs, était la soeur de Charles Tourville, marié à Marie-Amable Charpentier; et de Marie Tourville, mariée à William Bangle (eh! oui, encore lui!).

Ayant passablement étudié la vie de cette famille, je ne suis pas certaine de comprendre pourquoi, ayant au moins une soeur et un frère vivants au moment de son décès, elle vivait dans la rue. Je vais certainement jeter un autre coup d’oeil aux recensements de 1825 et de 1831 pour vérifier si elle n’aurait pas habité avec l’un d’entre eux.

Veuillez prendre note que tout cela est consigné scrupuleusement dans mon carnet de recherches.