52 ancêtres en 52 semaines : #27 Michel Tourville (1759-1810) et #28 Catherine Marié (1764-1830)

Je visualise aisément la scène : Catherine Marié, veuve depuis près de deux ans, assise bien droite sur sa chaise dans l’étude du notaire Pierre Laforce, en cet après-midi du 12 octobre 1811. Tous ses enfants sont avec elle; ils sont onze : l’aîné, Jean-Baptiste, 25 ans, marié à Rosalie Bleau depuis trois ans; Michel, 24 ans; Rose, 23 ans, mariée à Joseph Forget-Depaty depuis deux ans; et ses jeunes enfants encore mineurs : Catherine, 19 ans*; Antoinette, 17 ans; Hyacinthe, 15 ans; Marie, 14 ans; Charlotte, 12 ans; Joseph, 11 ans; Charles, 9 ans; et François, 7 ans. [*Note : L’âge de Catherine est approximatif, mais l’âge de tous ses frères et soeurs est exact.]

partage debutLe motif de ce rendez-vous chez le notaire est la lecture et le règlement d’un acte de partage de biens. La mort de Michel au début de l’année 1810 a été une dure épreuve pour Catherine, mais désormais elle sait qu’elle peut compter sur son fils aîné, Jean-Baptiste, qui a été nommé subrogé tuteur pour l’appuyer dans sa tâche de tutrice auprès de ses enfants mineurs. Depuis leur mariage, Jean-Baptiste et sa femme habitent avec Catherine et Michel. Peu de temps avant la mort de Michel, Jean-Baptiste et sa femme ont perdu leur fille Rosalie, leur premier bébé, mais heureusement Jean-Baptiste Jr, âgé de presque un an maintenant, se porte à merveille.

Cet acte de partage ne concerne pas seulement Catherine, mais également ses enfants qui ont droit eux aussi à leur part d’héritage (à l’exception de l’aîné, Jean-Baptiste, qui a déjà reçu sa part le jour de son mariage).

Maison en pierre de Saint-François-de-Sales, construite vers 1780, photo : Gérard Morisset, 1948 ~ Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote : E6,S8,SSS770,D4890

Maison en pierre de Saint-François-de-Sales, construite vers 1780, photo : Gérard Morisset, 1948 ~ Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote : E6,S8,SSS770,D4890

L’examen de la liste des propriétés de Michel (avant sa mort) laisse supposer que la famille jouissait d’un niveau de vie plutôt enviable :

Terre No un
Une terre de trois arpents de front sur vingt-cinq arpents de profondeur sise en la paroisse Saint-François-de-Sales au nord de l’île Jésus, bornée en front par la rivière Jésus, bordée au nord-est par la terre de Jean-Marie Mathieu, et au sud-ouest par la terre d’Étienne Content, avec une maison en pierre à un étage de trente pieds sur trente, une grange en bois de soixante pieds, une étable de quarante-trois pieds, un autre petit bâtiment de trente pieds et une laiterie avec remise, le tout en bonne condition.

Terre No deux
Une terre de deux arpents et demi de front sur vingt-cinq arpents de profondeur sise au côté sud de l’île Jésus dans la paroisse de Saint-François-de-Sales, bornée en front par la rivière des Prairies et par derrière bordée au nord-est par la terre de M. Hervieux, et au sud-ouest par celle de Baptiste Tourville; les clôtures et fossés en bonne condition, aucun bâtiment n’y étant construit. Cette terre était grevée d’une hypothèque de deux mille livres à payer à Joseph Turgeon que Catherine Tourville a réglée à même le compte de liquidation. Elle a toutefois payé personnellement les intérêts pour la période de six mois; somme qu’elle avait oublié de réclamer à la communauté de biens. Les enfants héritiers seront donc tenus de rembourser à leur mère trois livres de vingt coppres chacun.

Terre No trois
Une terre de trois arpents de front dont l’arpent et demi du sud-ouest n’a que vingt arpents de profondeur et l’autre partie au nord-est, vingt-deux arpents et demi, sise au côté sud de l’île Jésus dans la paroisse Saint-François-de-Sales, bordée au nord-est par la terre de M. Soumandre et au sud-ouest par la terre de Joseph Dépaty avec une vieille maison en pierre de trente-cinq pieds sur vingt deux, une grange avec étables en bois, ces bâtiments mesurant environ cinquante pieds.

Maison en pierre de la seigneurie Gravel, à Saint-François-de-Sales, construite vers 1800. Photo : Gérard Morisset, 1946 ~ Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote : E6,S8,SS1,SSS770,D4885

Maison en pierre de la seigneurie Gravel, à Saint-François-de-Sales, construite vers 1800. Photo : Gérard Morisset, 1946 ~ Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote : E6,S8,SS1,SSS770,D4885

Terre No quatre
Un lopin de terre de quatre arpents et demi de front sur neuf arpents de profondeur au côté nord de l’île Jésus sise dans la paroisse Saint-François-de-Sales, borné en front au derrière de la terre d’Ignace Crépeau et en profondeur à celle de Joseph Déry, bordée au nord-est à la route du moulin et au sud-ouest à la terre de Baptiste Belhumeur, aucun bâtiment n’y étant construit.

Terre No cinq
Un emplacement d’un demi-arpent de front sur la profondeur allant du bord de l’eau jusqu’au chemin du Roi vis-à-vis le village de Terrebonne.

Remise en pierre de la seigneurie Gravel, à Saint-François-de-Sales, adjacente à la maison ci-dessus, construite vers 1800. Elle a été démolie en 1950. Photo : Gérard Morisset, 1946 ~ Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote : E6,S8,SS1,SSS770,D4886

Remise en pierre de la seigneurie Gravel, à Saint-François-de-Sales, adjacente à la maison ci-dessus, construite vers 1800. Elle a été démolie en 1950. Photo : Gérard Morisset, 1946 ~ Bibliothèque et Archives nationales du Québec, cote : E6,S8,SS1,SSS770,D4886

On a dû avoir recours à l’avis de deux experts (chacun de ces derniers ayant été choisi respectivement par chacune des deux parties) afin de s’assurer que les cinq terres étaient d’égale valeur. De fait, elles l’étaient, à l’exception de la Terre No 3 ; par conséquent, la personne qui héritera de la portion sud-ouest de cette terre devra remettre la somme de soixante-quinze livres et vingt sols à l’héritier de l’autre « moitié » de cette terre.

En premier lieu, les cinq terres ont été divisées en deux parts égales : une, destinée à Catherine; l’autre, à être répartie entre les dix enfants. Le premier lot est identifié comme correspondant à la portion nord-est des terres. Pierre Laforce inscrit donc sur deux morceaux de papier de taille identique, « Lot No 1 » et « Lot No 2 ». Il les dépose ensuite dans un chapeau, en demandant à l’un des enfants d’en piger un au hasard. Tout naturellement, l’enfant tend à Jean-Baptiste le papier qu’il a pigé. Après l’avoir déplié, celui-ci en lit le contenu : « Lot No 2 » : ce lot sera donc celui des enfants mineurs, et Catherine, elle, se verra attribuer le Lot No 1 (correspondant à la portion nord-est des terres sur laquelle se trouvent d’ailleurs tous les bâtiments ci-haut décrits).

Le notaire Laforce doit maintenant veiller à ce que le Lot No 2 soit réparti également entre les dix enfants. Il procède encore de la même manière : il inscrit sur dix morceaux de papier « Lot No 1 », « Lot No 2 », « Lot No 3 » et ainsi de suite jusqu’à « Lot No 10 » (lesquels lots ont été déterminés en suivant un certain ordre géographique) et il les dépose dans le chapeau. Tour à tour, du plus âgé au plus jeune, chacun des dix enfants est appelé à piger.
Une fois l’opération complétée, les lots ont été attribués de la façon suivante :

LotsEnfants
Lot No 1François
Lot No 2Joseph
Lot No 3Rose
Lot No 4Hyacinthe
Lot No 5Antoinette
Lot No 6Michel
Lot No 7Marie
Lot No 8Charlotte
Lot No 9Charles
Lot No 10Catherine

La séance tire à sa fin : Catherine et Jean-Baptiste ont inscrit leur marque, les témoins et les notaires ont apposé leur signature. J’aime à penser qu’après cet événement chargé d’émotion, toute la famille s’est ensuite retrouvée à la maison familiale, chez leur mère, autour de la table, partageant un bon repas.

partage finPeu à peu, chacun d’eux suivra sa propre voie.

Si Charlotte et Hyacinthe sont demeurés à Saint-François-de-Sales, c’est à Montréal que l’on retrouvera Michel quelques années plus tard. Rose, quant à elle, s’établira à Sainte-Anne-des-Plaines. Les autres membres de la famille se sont dispersés.

Après leur mariage respectif, Marie et Joseph se sont installés à Louiseville au Québec. Antoinette a fini ses jours à Saint-Pie-de-Bagot. Bien que Catherine, Charles et François aient déjà vécu à Saint-Hugues et Saint-Jude (pas très loin de chez Antoinette), Catherine et Charles, pour leur part, ont émigré au Vermont, à Ferrisburgh, avec leur famille respective, pour ensuite déménager à Chateauguay dans l’État de New York. La veuve de François, Louise Corriveau, après le décès de ce dernier vers 1855, a quitté le Québec avec ses enfants pour le Massachusetts où ils furent connus sous le nom de « Courville ». Quant à l’aîné, Jean-Baptiste, c’est à South Hero, au Vermont, qu’il a choisi de s’établir avec sa femme, Rosalie Bleau et leurs enfants.

Et enfin, Catherine, décédée le 15 novembre 1830, a été inhumée à Lachenaie. N’en déduisez pas qu’elle avait quitté Saint-François-de-Sales. L’église avait alors été démolie et les paroissiens étaient désormais desservis par l’église de Lachenaie.


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